Le Bilan carbone

Le bilan carbone des pays occidentaux sous-évalué

 

L'empreinte carbone d'un Français est de 6 tonnes de CO2 par an, celle d'un Américain avoisine les 20 tonnes, mais combien faut-il ajouter pour le jean importé du Bangladesh, le téléphone mobile fabriqué en Chine, le téléviseur produit en Corée du Sud ?

L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a annoncé, vendredi 26 mars, un vigoureux redémarrage des échanges internationaux en 2010, avec une hausse prévue de 11 % des exportations des pays en développement. Aux avant-postes pour profiter de cette reprise : la Chine qui, en 2009, a détrôné l'Allemagne de la première place du palmarès des plus grands pays exportateurs.

En l'espace d'une vingtaine d'années, la production industrielle des pays développés a basculé vers les pays émergents. Et avec elle, une grande partie de la pollution rejetée par des usines occidentales aujourd'hui disparues. A qui ces émissions de gaz à effet de serre doivent-elles être imputées ? Au pays dans lequel sont fabriqués les produits qui seront ensuite exportés pour satisfaire les besoins de consommateurs occidentaux ? Ou au pays consommateur, qui, en s'approvisionnant à l'extérieur, réduit "artificiellement" son empreinte carbone ?

La séparation de plus en plus nette entre la production d'un bien et son lieu de consommation complique le débat sur la lutte contre le changement climatique. Le sujet, jusqu'à présent, n'a pas été abordé de front, de peur de voir se rouvrir la boîte de Pandore du protectionnisme, avec les guerres commerciales qui l'accompagnent. Le protocole de Kyoto, adopté en 1997, ne dit d'ailleurs pas grand-chose des relations entre changement climatique et commerce, si ce n'est que "les parties devront mettre en oeuvre des politiques qui minimisent les impacts sur le commerce international".

En Europe, Nicolas Sarkozy réclame l'instauration d'une taxe carbone aux frontières pour lutter contre le "dumping environnemental" des pays qui produisent sans se soucier de réduire leurs émissions polluantes. Les Etats-Unis envisagent aussi de se doter de barrières tarifaires dans leur projet de loi sur le climat. Mais la Chine, première concernée, a déjà répondu par une fin de non-recevoir : si quelqu'un doit payer pour ces émissions, ce sera au consommateur occidental.

Une étude publiée par le Carnegie Institution of Washington, une fondation de recherche, sur "les émissions de CO2 liées à la consommation" confirme que le sujet ne pourra être indéfiniment laissé en marge des négociations internationales sur le climat. Steven Davis et Ken Caldeira, ses auteurs, ont traqué les émissions liées aux échanges de produits manufacturés entre 113 pays, sur la base de données mondiales datant de 2004, et décrivent, avec une précision sans égal, les pérégrinations de ce carbone "importé".

Il en ressort que 23 % des émissions de CO2 liées à la consommation de biens dans les pays développés - soit 6,4 milliards de tonnes - ont été rejetées dans un autre pays. Le plus souvent en Chine, dont 22,5 % des émissions résultent de la production destinée à l'exportation. Dans le classement des plus gros exportateurs de CO2 établi par l'étude, viennent ensuite la Russie, les pays pétroliers du Moyen-Orient et l'Inde.

A l'autre bout de la chaîne, les Etats-Unis apparaissent comme les premiers "importateurs" de CO2, suivis du Japon, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la France et de l'Italie. Ce palmarès n'est plus le même si les émissions sont rapportées au nombre d'habitants. Ce sont alors les pays européens, aux premiers rangs desquels la Suède, le Danemark et la Suisse, qui prennent la tête du classement. Suivent le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne.

Rien ne permet d'affirmer que les délocalisations d'industries polluantes dans les pays en développement sont une réponse aux politiques de lutte contre le changement climatique initiées par certains pays développés. Le transfert d'activités continue davantage à être justifié par la recherche de plus faibles coûts de main-d'oeuvre, voire de nouveaux débouchés. Cela pourrait changer : les industriels européens brandissent désormais à mi-mot la menace de l'expatriation pour échapper aux efforts en matière environnementale que veulent leur imposer les gouvernements.

Ces "fuites de carbone" constituent bien un maillon faible dans les dispositifs imaginés pour lutter contre le changement climatique. Les chercheurs du Carnegie Institution considèrent qu'il n'y aura pas de solution sans compromis : "Les consommateurs des pays riches devront prendre en charge le coût d'une partie de ces émissions", suggèrent-ils. Autrement dit : il faudra leur faire admettre qu'après avoir vu partir ailleurs les emplois industriels, ils devront payer plus cher pour des produits dont le faible prix est souvent le seul avantage qu'ils perçoivent de la mondialisation. Ce n'est pas gagné.

Laurence Caramel

Article paru dans l'édition du 01.04.10

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